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3.5%. Ce pourcentage représente la population noire du Canada. Il s’agit d’une population jeune, diversifiée, en croissance avec une scolarité en progression. Qu’est-ce qui explique alors les écarts manifestes entre les Noirs et le reste de la population Canadienne en matière d’emploi et d’éducation ? Une récente étude de Statistique Canada a en effet souligné ces disparités. Voici quelques exemples :
- Environ 1 adulte noir sur 5 vit en situation de faible revenue
- Le taux de chômage parmi les titulaires de diplômes d’études post-secondaires était de 9.2% en 2016 contre 5.3% pour le reste de la population et
- Le taux d’emploi de personnes noires de 25 à 59 ans est plus faible que dans le reste de la population : 78.1% contre 82.6% chez les hommes en 2016.
Que démontre ces chiffres ? Comment est-ce que les réalités qu’elles illustrent se vivent au quotidien ? Quels en sont les effets sur notre société et la jeunesse ? Témoignage d’Eric Keunne, enseignant et cheF de département de Français, Arts et Musique du Conseil scolaire Halton.
Discours complet d’Eric Keunne lors d’une réunion du personnel le 4 juin dernier.
Bonjour tous le monde,
Je m’appelle Eric Keunne, pour certains d’entre vous je suis un ami, pour d’autres juste un collègue de travail et pour beaucoup d’autres, je l’espère, un humain comme vous, qui a également droit à la dignité, au respect et certainement pas à la pitié.
Quelle que soit la catégorie dans laquelle vous me rangez, cela n’a pas vraiment d’importance! D’ailleurs, qui suis-je pour dicter le regard que tout le monde devrait avoir sur ma personne? Tout ce dont je suis convaincu, c’est que je suis noir, de jour comme de nuit et fier de l’être, mais après tout, je suis juste quelqu’un comme vous: un être humain …
Vous devez certainement vous demander ce que ma noirceur aurait à voir avec mon discours en ce moment….
Eh bien, ce terme a sa place. Il résonne à la fois comme une glorification de mon être par rapport à d’autres êtres humains comme moi (vous par exemple) et il est parfois teinté d’un inconfort inexplicable qui me hante tous les jours.
Cet inconfort qui vient même parfois me traquer dans mes retranchements les plus sécurisés, y compris dans ma demeure familiale. Comme vous le savez peut-être, je n’ai pas choisi de naître noir, tout comme vous n’avez pas choisi de naître blanc, asiatique, indien, etc…
Alors, la question que je me pose constamment, et j’en suis sûr beaucoup comme moi avec, est celle de savoir pourquoi diantre, au 21e siècle, la couleur de notre peau, le sexe, notre orientation sexuelle, les accents, nos mode de vies, devrait constituer une voie de rejet et de discrimination plutôt qu’une opportunité d’enrichissement mutuel, d’apprentissage mutuel et d’intégration dans notre société?
N’avons-nous pas appris de notre histoire en tant que citoyens canadiens et en tant qu’êtres humains? Les blessures des pensionnats indiens sont encore béantes. Il nous faut beaucoup de temps pour comprendre ces vérités et le chemin de la réconciliation est encore long et sinueux … Nous sommes loin d’avoir atteint un niveau d’équité et d’égalité après tant d’années de déni de la réalité qui nous entoure . Nous devons également reconnaître la vérité: OUI, le racisme anti-noir est si répandu dans la société canadienne…
Alors que nous peinons à panser les blessures laissées par la pandémie du COVID 19 qui sévit si brutalement et nous paralyse tous avec les corollaires sur notre santé mentale, sur notre charge de travail, sur nos vies sociales et sur notre capacité à être opérationnels pour nos élèves, nos parents et l’ensemble de la communauté éducative, les inquiétants actes de racisme anti-noir que nous avons vus au cours des dernières semaines aux États-Unis nous rappellent que le travail de protection et défense des droits et la dignité de tous les peuples est impératif, et que nous avons tous la responsabilité de bâtir des communautés inclusives.
Ces événements récents nous rappellent la fragilité du tissu social qui s’est construit dans le passé et qui nous a été légué volontairement ou involontairement. Pourtant, la génération actuelle d’éducateurs a du mal à trouver des réponses appropriées à toutes les questions qui peuvent survenir à la suite de ces événements qui se déroulent aux États-Unis et au Canada et jour après jour, notre frustration va grandissante.
Je voudrais juste nous rappeler encore une fois le rôle éminemment important des éducateurs que nous sommes au milieu de cette tempête. Nous devons briser ce cycle… Vous devez le faire…
Comme l’avait si bien dit Martin Luther King Jr, « où qu’elle règne, l’injustice compromet partout ailleurs la justice ».
Des changements se produisent dans notre société, car de nombreuses personnes s’efforcent de mettre fin aux nombreuses injustices que nous constatons quotidiennement, et il est important que chacun de nous prenne position. Ma question est la suivante: Quelle est la vôtre??? Vous n’avez certainement pas besoin de répondre tout de suite à cette question ….
Un des concepts de la pensée historique qui devrait guider notre raisonnement en ce moment est certainement celui de ses causes et de ses conséquences en nous posant les questions comment et pourquoi.
Ces deux questions importantes ouvrent la voie à la recherche des causes: quelles actions, croyances ou circonstances ont conduit à ces conséquences?
En histoire, on nous rappelle constamment qu’il faut prendre en compte le facteur humain. Les individus, seuls ou en groupe, jouent un rôle dans la promotion et la conception du changement, ainsi que dans la résistance à celui-ci.
Donc, la question ultime que je nous pose aujourd’hui: Ensemble, en tant que GRANDE famille d’éducateurs et éducatrices, comment allons-nous utiliser à bon escient l’opportunité de cette triste réalité qui s’impose à nous pour initier des discussions constructives avec nos élèves, nos amis, nos familles et notre communauté afin que ce qui se déroule actuellement puisse servir comme base d’établissement d’une communauté éducative et une société dans son ensemble plus inclusive, une communauté où chacun se sente valorisé malgré les différences qui nous distinguent?
Je voudrais terminer ma remarque en déclarant sans équivoque que le silence n’est certainement pas une option! En fait, il n’a jamais été une option mais maintenant plus que jamais! Je tiens également à nous rappeler que le travail de fond sur l’équité et l’inclusion au niveau de base nécessite un engagement au niveau humain: reconnaître et répondre à la douleur et aux traumatismes et naviguer collectivement sur la voie de la guérison.
«Trop souvent, quand nous voyons des injustices, grandes et petites, nous pensons:« C’est terrible, mais nous ne faisons rien. Nous ne disons rien. Nous laissons d’autres personnes mener leurs propres batailles. Nous restons silencieux parce que le silence est plus facile. Qui tacet consentire videtur est l’expression en latin pour «qui ne dit mot consent». Quand nous ne disons rien, quand nous ne faisons rien, nous consentons à ces offenses contre nous. »
– Roxane Gay, Bad féministe
Tout en continuant à condamner le racisme anti-Noir dans nos communautés et en initiant des conversations significatives avec nos étudiants, amis et collègues, souvenons-nous qu’en tant qu éducateurs, nous sommes tenus en haute estime. Nous avons la responsabilité commune de défendre et de promouvoir les valeurs de dignité, d’appartenance, de respect, d’équité, de diversité et d’inclusion. En tant qu éducateurs, nous devons prendre cet engagement et accepter cet appel à l’action. C’est un voyage d’apprentissage pour vous et moi et ensemble, nous DEVONS continuer à travailler pour un avenir meilleur pour nous tous et pour les générations à venir. Nous ne DEVONS JAMAIS abandonner et nous DEVONS TOUS FAIRE MIEUX.
Merci et je vous aime tous.
Eric Keunne, EAO
Chef de département de Français ,Arts & Musique Conseil Scolaire de Halton |